Jules Adler
Peindre sous la Troisième République
Au Palais Lumière, à Évian
Du 3 mars 2018 au 21 mai 2018
Par Colette de Lucia (texte & photos)
C'est surtout au petit peuple des villes, Paris essentiellement, où il vit et où sa carrière débute qui l'intéressent. Sa peinture coïncide à l’engouement pour le naturalisme du régime républicain installé depuis 1870 qui se manifeste. En effet, ces années correspondent bel et bien au développement d’un langage singulier au sein du naturalisme, celles des toiles comme La Rue, Les Las, La Soupe des Pauvres où l’artiste affirme une palette sombre pour peindre la misère sociale. Cette misère pareille à celles des mineurs de Charleroi qu'il représente dans ce « pays noir », à celles qu'il a découvert en allant au Creusot observer, dessiner et peindre les luttes des ouvriers des usines Schneider.
Bien sûr, son parcours a été jalonné d'hésitations entre une peinture qui se voulait très engagée socialement et une vision plutôt existentialiste de la société. De plus, sa peinture était tantôt épaisse tantôt pâteuse, avec une touche brossée quasi impressionniste, et d'une bonne facture, lissée, sans oublier le dessin, très présent qu’il adoptera pour finir, après la sale guerre de 14 -18.
Cette bouleversante exposition est l'occasion exceptionnelle de contempler l’œuvre complexe de ce peintre, qui alterne entre modernité et académisme.
Colette de Lucia
Jules Adler montre très tôt des prédispositions pour le dessin, et envisage d’abord une carrière de professeur. En 1882, sa famille installée à Paris, il s’inscrit à l’Ecole nationale des arts décoratifs, puis à l’Académie Julian, dans l’atelier de William Bouguereau et Tony Robert-Fleury. Décidé à devenir peintre, il intègre finalement l’Ecole des Beaux-Arts en 1884. Il échoue deux fois au prix de Rome rompant ainsi avec le parcours classique de la formation des peintres d’histoire: « Ce que je décide sérieuse(sic) aussi c’est d’abandonner d’une façon absolue le concours de Rome qui au point de vue de l’école actuelle ressemble à une poutre qui vous couperait votre chemin » (4 mai 1891)
Il présente en 1887 une toile dans la section dessin du Salon des artistes français: Portrait de mon ami Clément Brun. Avec « La Transfusion du sang de chèvre » en 1882, il répond à sa première commande. La toile est admise au Salon et suscite l’intérêt de certaines critiques: ce succès d’estime lance la carrière du jeune Adler..
Les joies populaires
Les joies populaires est une toile qui ouvre un nouveau pan de la production d’Adler: la représentation de scènes de vie parisienne. Parallèlement aux figures des humbles habitants des Faubourgs, Adler illustre également des citadins dans des scènes empreintes de gaieté. Un groupe de passants, peints en plain pied, se rassemble autour de musiciens et profite de cette manifestation dans une ambiance joyeuse. Plus que sur le spectacle, Adler se focalise sur les spectateurs, des couples et des familles venus de divertir. Des couleurs chaudes et une lumière douce de fin de journée ensoleillée viennent parfaire l’idée d’un bonheur simple.
Luxeuil et la Franche-Comté
Si Adler houe des amitiés fortes à l’Académie Julian, Luxeuil et le milieu franc-comtois demeurent des points d’ancrage solides. En 1932, il peint son Vieux Luxeuil et le présente comme un « portrait de famille ». Cette famille l’épaule en permanence: le sénateur Jeanneney et le député Couyba, défenseur des Beaux-Arts à l’Assemblée nationale, usent de leur influence pour accompagner la carrière de l’artiste, tandis que le journaliste et le philosophe Lucien Berbedette - l’ami Barbedette - devient son premier biographe.
Ces soutiens débouchent en 1933 sur la création du musée Adler, puis sur la commande d’un ensemble décoratif pour l’établissement thermal de Luxeuil. Six toiles - dont cinq encore visibles aujourd’hui - sont réalisées entre 1939 et 1945. Dans une manière sobre et solide, Adler peint côte à côte des figures à l’antique, évoluant autour d’Hygie, déesse grecque de la santé et de l’hygiène, et des groupes de baigneurs contemporains.