Nausées, vomissements, diarrhées, crampes, coliques, hémorragies internes: ces symptômes signent un empoisonnement à l’arsenic. Les reins et le système circulatoire flanchent, et la victime succombe en l’espace de quelques heures ou de quelques jours. Inodore, indécelable au goût, l’arsenic se dissout également facilement dans l’eau. Autant de propriétés qui le rendent particulièrement traître, et font de lui une arme privilégiée pour les empoisonneurs. D’autant qu’il suffit d’une dose infime pour entraîner la mort. Comment se protégeait-on d’un tel danger à la fin du Moyen Âge? Avec une noix de coco, bien sûr! Jusqu’à l’époque moderne, on prêtait à cette dernière des pouvoirs curatifs magiques. On croyait qu’elle pouvait révéler les éléments pathogènes ou toxiques en les colorant ou en les faisant mousser, quand elle ne neutralisait pas tout bonnement le poison. Les propriétaires de noix de coco pouvaient ainsi se targuer de posséder une arme contre ces ennemis invisibles. Dans son Kreuterbuch (1557), Adam Lonitzer présente la noix de coco comme un remède contre les problèmes de vessie, les douleurs de hanche et de genou, les vers et les glaires. Bibliothèque de l’ETH, e-rara UNE RARETÉ EXOTIQUE Heureux donc ceux qui pouvaient se vanter de posséder une noix de coco! Dans nos contrées, les importations de ce précieux fruit augmentèrent avec la découverte des nouvelles voies de commerce maritime. Il était expédié vers l’Europe en même temps que des branches de corail, des œufs d’autruche, des cornes de rhinocéros, des carapaces de tortue, des défenses d’éléphant, des défenses de narval (qu’on présentait comme des cornes des légendaires licornes), des diodons ou poissons-hérissons et des cornes de buffle qui passaient pour être des serres de griffons. Ces objets exotiques symbolisaient les conquêtes coloniales du monde «civilisé». En Europe, les artisans les associaient à des métaux précieux pour créer des objets de grand prix, union parfaite de la nature et de l’art: les naturalia, œuvres de Dieu, et les artificialia, créations de la main humaine, se trouvaient réunis dans un seul et même artefact. Nombre de ces trésors trouvaient place dans les cabinets des curiosités de riches aristocrates et étaient exhibés aux visiteurs que l’on cherchait à impressionner, pour leur démontrer la richesse et la culture de celui qui les recevait. Ces collections proposaient une reproduction miniature du monde, mais aussi une réflexion sur la place de l’être humain dans l’univers. En amassant ainsi les objets exotiques, les collectionneurs cherchaient à s’attirer l’admiration et la déférence de leurs hôtes. Grâce aux nouvelles voies maritimes, ces raretés exotiques se frayèrent également un chemin dans les maisons des riches bourgeois amateurs d’objets précieux et extraordinaires. C’est ce que montrent les inventaires d’héritage et de patrimoine. Ainsi, lorsqu’Elsbeth Burger se maria, en 1546, elle amena dans sa dot, outre 26 gobelets divers et variés, une «noix de muscade» (comme on appelait alors la noix de coco) taillée en coupe. Et à sa mort en 1572, le Zurichois Jakob Sprüngli, maître de guilde très en vue, laissa un trésor d’orfèvrerie très parlant, avec, là encore, une coupe sculptée dans une noix de coco. En quelles occasions les utilisait-on? Sur ce point, on ne peut que spéculer. Mais il s’agissait à coup sûr d’objets ornementaux et d’une preuve de prestige. Ont-elles véritablement sauvé un jour leur propriétaire de l’empoisonnement? Malheureusement, aucun écrit n’en atteste. Mais on peut supposer qu’à elle seule, la foi dans le potentiel protecteur de la noix de coco devait procurer à leurs possesseurs un surcroît de sérénité. Rebecca Sanders, conservatrice au Musée national suisse. GILBERT ALBERT |
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Juillet 2024
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